samedi 6 septembre 2014

« La formation scientifique en DASPA : Mariage d’amour ou de raison entre sciences et français de scolarisation »



« La formation scientifique en DASPA :
Mariage d’amour ou de raison
 entre sciences et français de scolarisation »

par Yohann Fleury – Institut de la Providence
                                                                                                                             Coordinateur DASPA

Introduction

Pendant plusieurs années en classe passerelle, beaucoup d’écoles ont mis l’accent sur le cours de français, en n’organisant pas toutes les heures de Formation scientifique (seulement les 4 heures de mathématique) et en injectant les heures de sciences dans les cours de Formation humaine. Ce cours de math est souvent vu sous l’aspect purement contenu, l’aspect FLE étant occulté, souvent par manque de formation de l’enseignant à cet aspect.

A l’Institut de la Providence d’Anderlecht, des cours de F.S. sont donnés depuis le début (2OO1), mais depuis 2009, et l’arrivée d’une nouvelle équipe de coordination et de direction, une réflexion a été menée sur ce cours et l’organisation pédagogique a été revue pour répondre au mieux aux missions.


Contexte légal et pédagogique

Selon les décrets du 14/06/2001 organisant la Classe passerelle et du 18/05/12 organisant le DASPA, nos missions sont :

1 – assurer l'accueil, l'orientation et l'insertion optimale des élèves primo-arrivants dans le système éducatif de la Communauté française;
 2 – proposer un accompagnement scolaire et pédagogique adapté aux profils d'apprentissage des élèves primo-arrivants, notamment les difficultés liées à la langue de scolarisation et à la culture scolaire;
 3 – proposer une étape de scolarisation intermédiaire et d'une durée limitée, conformément à l'article 9 du présent décret, avant la scolarisation dans une classe de niveau ;

par l’apprentissage ou le renforcement du français, mais aussi par les DNL (disciplines non linguistiques : math, sciences, histoire-géographie).

La semaine de 28h de cours se répartit donc ainsi :
15    de Formation humaine :

10 h : français

►3 h : histoire géographie

►2 h : atelier artistique
8       h de Formation scientifique :

►4 h : math

►2 h : sciences

►2 h : travaux sur ordinateur
+ 3h d’éducation physique et 2h de religion
Actuellement, il existe beaucoup de méthodes de français sur le marché pour donner le cours de Formation humaine (français) aux primo-arrivants en DASPA (Dispositif d’accueil et de scolarisation pour élèves primo-arrivants - ex-classe passerelle) en Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique. Certaines, comme « Entrée en matière » intègrent quelques éléments de sciences, de mathématiques voire de culture générale, mais le contexte reste très franco-français.

Cependant, le cours de Formation scientifique, avec ses huit heures par semaine, ne fait pas l'objet d'un programme ou d'une méthode pour les professeurs qui l'enseignent.


Vers un programme et un syllabus de Formation scientifique en Classe passerelle

Lorsque en 2009, je suis devenu coordinateur de la section classe passerelle à l’Institut de la Providence, j’ai décidé de suivre le Certificat en didactique du FLE à la Cedefles à l’UCL de Louvain-la Neuve. En 2010, dans le cadre de mon TFE « Pour une formation scientifique pour les élèves primo-arrivants en Classe Passerelle - vers un projet F.O.S. », je me suis fixé comme objectifs de :


- réaliser une enquête auprès des pouvoirs organisateurs (PO) en Communauté française et des enseignants titulaires de ce cours pour avoir une meilleure idée de leurs besoins,
- déterminer si ce projet est un projet de Français sur objectifs spécifiques ou du français de spécialité,
- réfléchir aux objectifs d'un cours de Formation scientifique pour les primo-arrivants,
- proposer un programme de cours en vue d'un syllabus de Formation scientifique pour élèves primo-arrivants de classe passerelle.


Elaboration didactique du projet de syllabus de FS en classe passerelle

Dans son livre « Élaborer un cours de FLE », Janine Courtillon[1], de l'École normale supérieure de Saint-Cloud en France, nous parle de « se constituer une méthode ». « Lorsqu'on parle d'enseignement des langues, on évoque souvent le problème de formation, en distinguant les enseignants qui ont reçu une bonne formation et ceux qui ont une formation insuffisante. Il faudrait aller plus loin et admettre que les enseignants peuvent se former continuellement en opérant des choix raisonnés parmi les activités pédagogiques proposées dans les méthodes initiées par eux-mêmes, en observant les résultats, en élaborant en quelque sorte leur propre « recherche-action ».

Dans « Le français sur Objectif Spécifique » [2], Jean-Marc Mangiante et Chantal Parpette propose une démarche de travail pour élaborer un cours de FOS que j’ai suivi. Les étapes de cette démarche sont l'analyse des besoins, la collecte des données et l'élaboration didactique. Cette démarche de « recherche-action » est décrite dans mon travail[3].

Analyse des besoins

Avant d'élaborer une proposition, il m’a semblé nécessaire d'interroger des experts, des spécialistes de terrain. J'ai donc pris contact avec les responsables de pouvoirs organisateurs (PO), des chercheurs universitaires et les enseignants titulaires de ce type de cours.

Aux PO de la Communauté française et de la SEGEC, après avoir exposé mon projet, j'ai posé la question « Quels sont pour vous les objectifs du cours de Formation Scientifique pour primo-arrivants? »

À différents chercheurs de l’UCL, de la KUL et de l’ULg, j'ai demandé si je me situais dans un projet de français de spécialité ou de français sur objectifs spécifiques.

Puis aux enseignants de différents classes passerelles à Bruxelles, j'ai soumis un questionnaire que j'ai élaboré avec ces 4 questions :
1. Avez-vous éprouvé des difficultés à construire votre cours lorsque vous avez commencé à le donner ? Si oui, lesquelles ?
2. Comment avez-vous construit votre cours ?
3. Quels sont vos besoins pédagogiques pour construire votre cours ?
4. Quels sont pour vous les objectifs du cours de Formation scientifique pour primo-arrivants ?

Ces différentes enquêtes ont permis de rapprocher le point de vue des enseignants, des chercheurs et des PO avec comme base de travail le programme du 1er degré différencié (certains élèves devront passer l'examen du CEB l’année suivante),  avec comme objectif  l’acquisition du vocabulaire et des connaissances de base de math et de sciences pour une meilleure intégration dans l'enseignement secondaire belge

Collecte des données

Pour atteindre cet objectif, il faut donc partir du cadre de référence du 1er degré différencié et de son programme de sciences. Cependant, le public classe-passerelle étant composé d'élèves primo-arrivants, contrairement aux élèves de 1D/2D, qui ont pour la plupart effectué leur scolarité primaire en Belgique, maîtrise peu, voire pas du tout la plupart du temps la langue française.

C'est pourquoi un outil spécifique aux élèves primo-arrivants est absolument nécessaire, tout comme pour l'apprentissage du français, des méthodes FLE sont nécessaires. Mettre au point une méthode communicative pour leur faire faire acquérir le « français scientifique » me semble donc une nécessité. Jean-Marc Mangiante dit « Le meilleur moyen de comprendre ce qu’est la méthodologie communicative consiste sans doute à se pencher sur la mise en place d’un programme de F.O.S. »

J’ai proposé de constituer un programme de français sur objectif spécifique, avec un syllabus qui pourrait aider bon nombres de mes collègues en attente d'un outil spécifique pour le public d'élèves primo-arrivants.

Quelles compétences scientifiques et langagières mettre en avant ?

Les savoirs scientifiques proposés par le cadre de référence sont pertinents à garder pour donner un socle de base de connaissance aux élèves avant d'être intégrés dans le secondaire. Ils ont besoin d'un transfert des connaissances acquises dans leur pays vers la langue française, d'autres non scolarisés doivent acquérir ces compétences de base.

En ce qui concerne les savoir-faire scientifiques, l'esprit de la démarche scientifique est particulièrement nécessaire à acquérir pour amener les élèves à une certaine autonomie lorsqu'ils seront intégrés dans une classe secondaire. De plus certains sont orientés en 1D (moins de seize ans, pas d'équivalence possible), ils devront passer le CEB l'année suivante, autant commencer à les préparer.

Comment ne pas parler de compétences langagières pour des élèves en classe de FLE ?

Selon Caroline Veltcheff et Stanley Hilton dans « l'évaluation en FLE », le Cadre européen commun de référence définit la compétence à communiquer langagièrement.[4]

Cette compétence présente plusieurs composantes :

-        une composante linguistique, qui comprend les savoirs et savoir-faire relatifs au lexique, à la phonétique, à la syntaxe ;
-        une composante sociologique, qui comprend les paramètres socio-culturels, en relation avec les normes sociales ;
-        une composante pragmatique, qui renvoie à l'utilisation fonctionnelle des ressources de la langue, à la réalisation de fonctions langagières et d'actes de paroles, à la maitrise du discours.

Communiquer langagièrement, c'est mettre en œuvre ces composantes.

Janine Courtillon, dans « Élaborer un cours de FLE »[5], rappelle l'importance de garder à l'esprit la notion d'unité d'enseignement, ou d'unité didactique. Elle souligne le risque de choisir dans la gamme des activités et exercices existant ceux qui paraîtront les plus intéressants, agréables et parfois de « varier pour varier ». L'école doit apporter les moyens de contrôler l'apprentissage et de le faciliter. Il faut donc une méthode.

Elle ajoute que la « meilleure méthode » n'existera jamais, nous ne pouvons pas en juger. Cependant, on ne peut enseigner sans méthode. Il faut avoir une vue d'ensemble du parcours que doit accomplir l'apprenant pour s'approprier l'usage d'une nouvelle langue, et ici plus particulièrement la français des sciences.

Elle propose de diviser ce parcours en étapes, qu'on pourra appeler unités d'enseignement. Pour établir un parcours et en contrôler les acquis, il faut organiser les données de départ, les moyens de faire acquérir les savoir-faire escomptés et d'évaluer les acquis. Un cours doit être pensé en termes d'unités d'enseignement, ayant chacune des objectifs d'apprentissage (définis en tant que savoir-faire impliquant des connaissances linguistiques), des données sélectionnées en fonction de l'objectif, et selon une certaine progression, une méthodologie proprement dite.


Dans «Pratiques du Français scientifique»[6], les deux auteures rappellent qu'un « découpage par discipline est remis en cause par les scientifiques eux-mêmes. L'enseignant est contraint de minorer l'entrée par disciplines au profit d'une réflexion interdisciplinaire qui lui permet de dégager les opérations cognitives communes des ensembles, des catégories de disciplines, afin de pouvoir enseigner le matériel linguistique nécessaire à leur traduction langagière ».

C'est ce que j'ai choisis de faire dans les 6 unités didactiques présentées ci-dessous, où les matières scientifiques illustrent une grande thématique dans chaque unité. Le syllabus que je propose comporte six unités didactiques, avec comme fil rouge le titre « je me situe » :

1) Je me situe dans l'espace
En partant de son pays d'origine, l'élève suit un parcours qui l'amène en Belgique, à Bruxelles et dans sa nouvelle école : un parcours lui permettant d'acquérir des notions de géographie et de géométrie.

2) Je me situe dans mon environnement
Des planètes de notre système solaire aux animaux et aux plantes qui l'entourent, l'élève découvre le monde dans lequel il vit : un parcours empreint de biologie animale et végétale, mais aussi d'écologie.

3) Je me situe dans mon corps
À la découverte de son corps, l'élève teste ses sens et appréhende le monde médical : un parcours dans l'anatomie humaine et à la découverte des professions médicales et de l'hôpital.

Un double parcours dans le temps : tout d'abord, le temps qui passe, à la découverte de l'histoire des sciences dans le monde. Ensuite, le temps qu'il fait, c'est à dire le concept de la météorologie.

5) Je me situe dans les quantités
Une approche des mathématiques, en passant par la cuisine.

6) Je me situe dans le futur
Des nouvelles technologies, au monde des transports, à l'énergie et au développement durable : un parcours découverte de la chimie, la physique et l'électronique.

Les 4 premiers chapitres du syllabus sont déjà en partie réalisés et ont été testés en classe. Les deux derniers sont encore en cours de création.

Naissance de groupes à tâche pour la création de référentiel Sciences et Math en DASPA avec le SEGEC

Début 2012, nous avons pris contact avec une analyste de la SEGEC pour mettre en place un groupe à taches sur le cours de Formation scientifique. Un groupe de travail s’est constitué avec l’aide d’une conseillère pédagogique en sciences.

Dans un premier temps, une analyse des compétences du socle des compétences a été effectuée.
A l’aide du document « Socles de compétences », nous avons sélectionné parmi les 17 savoir-faire en Eveil-initiation scientifique, ceux qui semblent incontournables en DASPA selon les 3 niveaux sélectionnés pour les groupes d’élèves.

Puis nous avons sélectionné le savoir-faire correspondant au niveau :
I : fin de la 2ème année primaire groupe alpha
II : fin de la 6ème primaire → groupe futur 1D-3P
III : fin du 1er degré secondaire → groupe 2ème degré.

Lors de la prochaine étape, une réflexion sur le contenu matière et l’évaluation sera effectué.
En janvier 2013, un nouveau groupe à tache va démarrer le même travail sur les mathématiques en DASPA suite à la rencontre en octobre 2012 avec une conseillère pédagogique math du SEGEC. L’accent sera donné sur l’apprentissage et la compréhension des consignes, souvent la cause des échecs au CEB des élèves ex-classe passerelle. Notre objectif est d’arriver fin 2013 avec 2 référentiels FLE pour les sciences et les mathématiques, avec les compétences à travailler et à évaluer, un contenu matière et des outils de français de scolarisation pour les enseignants.
De l’importance du Français de scolarisation dans l’apprentissage des DNL

Lors d’une conférence sur le DASPA et la Formation scientifique  devant des élèves de Master FLE en novembre 2012, un étudiant m’a demandé si c’était un cours de science ou de français. Ce n’est ni totalement un cours de sciences (avec des élèves francophones), ni totalement un cours de FLE.

Michèle Verdelhan-Bourgade, dans son ouvrage « Le Français de scolarisation »[7],  écrit qu’à la différence du FLE, (un enseignement scolaire comme une discipline parmi d’autres, sans répercussions sur les autres matières), le « français de scolarisation sert à la mise en place des savoirs dans les autres disciplines ».

D’après Marisa Cavalli, dans « Formation initiale et profils d’enseignants de langues  »[8], la langue de scolarisation est une « langue officielle (une seule, voire plusieurs langues dans certains états) ou variété étrangère dans laquelle sont effectués les/des enseignements de disciplines dans le système scolaire. Cette langue n’est pas toujours la langue « maternelle » des élèves ; en tout état de cause, cette langue de l’école inclut des formes discursives (écrites, en particulier) qui ne sont pas connues des jeunes apprenants ». Elle précise que l’enseignement des langues de scolarisation se caractérise par deux dimensions :
-          « langue comme matière » avec ses composantes et ses objets propres d’apprentissage
-          « langue des autres matières », quand elle est utilisée comme moyen pour l’enseignement et l’apprentissage des autres matières à l’école (les DNL).

D’ailleurs, Philippe Capelle, du Segec, a élaboré en janvier 2012, un document appelé « Langue « pour » en sciences ». Il reprend un certain nombre de compétences de français liées aux apprentissages du cours de science. Celles-ci seront présentées plus loin dans le chapitre « Grammaire et sciences ».

Les cours de DNL doivent trouver un juste milieu, un point de rencontre, car notre objectif premier est d’aider l’élève à acquérir le vocabulaire et les connaissances de base de math et de sciences pour une meilleure intégration dans l'enseignement secondaire belge.

Marisa Cavalli[9],  explique qu’il y  a une langue appropriée aux objets disciplinaires et chaque discipline a ses propres objets, phénomènes, évènements et processus à décrire, à analyser dans leur composantes, à recomposer dans leur unité. Il ne s’agit pas seulement de lexique, comme souvent même les enseignants expérimentés l’imaginent, bien que le lexique joue un rôle de premier plan dans la construction conceptuelle et qu’il faille y travailler. Ce sont, en effet, plutôt des genres discursifs spécifiques à chaque discipline. On ne parle pas de la même façon d’un processus historique ou d’un théorème de mathématique. Par contre, certains moyens sémiotiques ou représentations conceptuelles peuvent être communes à plusieurs disciplines : par exemple, les diagrammes utilisés en mathématiques, géographie, histoires, sciences … ; les cartes employés en histoire, géographie, sciences, etc ; la frise chronologique en histoire, en sciences… ; les symboles mathématiques et en physique, etc ; d’autres peuvent être spécifiques à certaines disciplines (les formules en chimie ou en mathématiques).

Sans la connaissance d’un vocabulaire spécifique, la compréhension des consignes, mais également la maitrise du discours scientifique, l’élève risque d’être perdu après son intégration dans l’enseignement secondaire.
Lexique, mots-outils et sciences

Pour les auteurs de « Lire, comprendre, écrire le français scientifique »[10], les difficultés de langue que rencontrent les étudiants confrontés à un texte scientifique sont de deux types :

-        les problèmes de lexique : de nombreux mots, même (surtout) courants sont mal ou très vaguement compris, ce qui provoque confusion et erreurs.
-        les problèmes de compréhension des articulations logiques des textes, c'est-à-dire les mots-outils comme les adverbes, conjonction ou prépositions qui servent à lier les idées, à structurer un texte, à marquer les transitions logiques.

Dans « Le Français pour les sciences »[11], Jacqueline Tolas insiste sur la connaissance de ces connecteurs logiques, de manière à énumérer des éléments, émettre des hypothèses, faire des oppositions ou des restrictions, parler de la cause et des conséquences et se fixer un but. L'apprentissage des préfixes quantitatifs (bi, tri, quadri/tétra etc..) est aussi mis en évidence. De même, l'utilisation d'un certain nombre de verbes est précisé (on compte, on estime à, on enregistre, on dénombre etc..).

Dans « Pratique du Français scientifique »[12], les deux auteures insistent sur la connaissance des marqueurs spécifiques (modélisation, transformation, spatiaux et temporels, quantificateurs, de comparaison, de corrélation etc...). Les connaître permet de comprendre le discours scientifique et les utiliser permet de mieux articuler sa communication.

Michelle Verdelhan-Bourgade précise que les discours caractéristiques des manuels se disent dans une langue dont l’appropriation par des élèves peut être considérée comme un facteur capital de l’intégration scolaire. Pourtant la conception de la norme en Français de scolarisation semble hésiter entre celle d’un français langue internationale de prestige et celle d’une français proche des réalités du pays, avec un net avantage à la première. Pourtant, si l’on veut intégrer au mieux un élève de DASPA dans l’enseignement secondaire belge, le lexique scolaire belge sera plus utile qu’un lexique de collège en France.

Grammaire et sciences

D'après Gérard Vignier, dans « la Grammaire en FLE »[13], une enquête auprès de 30 professeurs exerçant dans des instituts de langues en français montre l'importance de la composante grammaticale dans l'enseignement du FLE, il s'agit souvent d'une demande des élèves qui la perçoivent comme un élément de stabilité dans leur apprentissage.

Cependant il faut garder le souci d'articuler compétences de communication et compétences linguistiques, la grammaire doit être en situation, elle est au service de la communication. Comme le dit Laure Destercke, dans son séminaire du 14 novembre 2009 à la Cedefles, « la grammaire, c'est comme la cuisine, tout est question de dosage, de quantité : quand, comment, que voir? ».

Mais quels éléments de grammaire ? Les ouvrages traitant du français scientifique insistent sur l'apprentissage d’éléments syntaxiques nécessaires à la communication scientifique.

Dans « Langue « pour » en sciences », Philippe Capelle du Segec propose comme exemple, en « Réception », dans la compétence « Comprendre un mode opératoire », de travailler avec les élèves sur :
-          Comprendre les verbes – identifier les temps (infinitif, gérondif),
-          Préposition de lieu : à la surface de, dans le fond de,
-          Préposition de mouvement : vers, de, à partir de, jusqu’à …
-          Préposition de situation : souvent avec des nombres : au-dessus de, en dessous de entre …et…,

De même, en « Production, dans la compétence « comparer », il propose :
Si « verbe + plus/moins « , pas de difficulté : « l’eau contient plus d’oxygène », « le matériau x gonfle plus le matériau y ».
Si « plus + adjectif », nécessité de voir le comparatif.

On le voit, les différents auteurs s'accordent pour donner une importance à la grammaire dans un cours de français scientifique, mais une grammaire au service de la communication scientifique. C'est donc ainsi que j’ai intégré la grammaire dans le syllabus de Formation scientifique.


Importance des énoncés et des consignes

Nombres d’échecs dans la résolution des tâches scolaires proviennent d’une mauvaise compréhension des consignes. On le voit chaque année lors du CEB avec les élèves ex-classe passerelle.

Pour n'importe quel élève, mais encore plus peut-être pour des primo-arrivants, les énoncés et les consignes doivent être clairs et compréhensibles pour leur permettre de résoudre la tache ou l'exercice qui leur est demandé.

Michèle Verdelhan-Bourgade[14] voit deux raisons majeures à l’incompréhension des consignes : les obstacles linguistiques et les consignes nécessitant des opérations mentales.

Le vocabulaire des consignes mérite d’être travaillé avec les élèves pour les aider à progresser. Certains mots tout à fait courant dans le langage social changent de sens  dans la jargon scolaire :

Mots
Sens social
Sens scolaire
Ranger
Mettre de l’ordre
Classer
Légende
Conte
Énoncé sous un dessin
Relever
Mettre debout
Repérer, noter

L’exécution de la consigne suppose d’abord des connaissances pragmatiques en matière de :

-          Situation de classe, pour comprendre  de quel domaine de connaissances il s’agit ;
-          Références extérieures, les énoncés des problèmes faisant souvent appel à des faits de société ou des éléments d’actualité.

Michèle Verdelhan-Bourgade reprend l’exemple donné dans un livre de problèmes français de niveau CM1 (4ème primaire en Belgique) de 1994 : « 254 personnes sont invitées pour fêter les 100 ans d’Amélie Bellugue. Le Traiteur demande 75 F par personne pour le repas. Combien couteront les 254 repas ». La compréhension de l’énoncé suppose celle du rôle social du traiteur, et ce n’est pas un simple problème de vocabulaire.
L’élève doit identifier la question, où est indiqué ce qu’on lui demande. Il va repérer les mots supports, les informations principales, secondaires, voire inutiles (les 100 ans de la dame).
A partir de là, s’opère une modélisation de la tâche à accomplir.

De la même manière, Claude Cortier et Robert Bouchard ont mis en évidence dans « Cultures scolaires et enseignement – apprentissage du FLE »[15] que la résolution d'énoncé-problèmes amène à introduire en mathématique des phénomènes pratiques, ethnographiques liés en particulier à l'habillage «  quotidien» des dits énoncés. Le problème s'enracine dans une situation de la vie quotidienne censée être connues par les élèves. Elle fait bien-sûr plus référence à l'expérience culturelle moyenne d'enfants ou d'écoliers français.

La compréhension d'un énoncé comporte selon les auteurs au moins 3 aspects :
-        un aspect proprement linguistique
-        un aspect cognitif lié à des connaissances proprement mathématiques
-        une composante liée au contrat didactique : connaissance des règles de l'enseignement, de la discipline et des règles de résolutions de problèmes, des connaissances implicites supposées par un apprentissage, connaissance de l'enseignant en particulier, de ses exigences.
L'habillage de l'énoncé est très important, il doit aider l'apprenant sans le bloquer.

Michèle Verdelhan-Bourgade[16] indique que pour construire un programme pour un cours de DNL, on peut au préalable essayer de classer les consignes en catégories :
-          Les consignes comportant un geste graphique (souligner, encadrer, rayer, dessiner …) ;
-          Les consignes relevant de catégories mentales générales (analyse, synthèse, classement…) ;
-          Les consignes spécifiques d’une discipline (calculer, soustraire, dater …) ;
-          Les consignes concernant des opérations discursives (nommer, décrire, raconter, expliquer…).

Elle ajoute que beaucoup de consignes basiques concerne souvent deux ou davantage de disciplines, ce qui constitue un argument supplémentaire à un travail langagier sur les DNL.

Consignes
Disciplines
Épeler, nommer
Français, sciences, histoire-géo
Classer
Faire correspondre
Français, sciences, math

Les différents auteurs montrent bien qu’il est nécessaire de travailler ce type de discours, dont la compréhension et l’exécution vont conditionner une grande partie de la réussite de l’élève primo-arrivant après son intégration dans une classe de l’enseignement secondaire.

Comme le dit Marisa Causa[17], l’enseignement/apprentissage d’une discipline aboutit à l’acquisition, au moins partielle, d’une langue et d’une culture caractérisée par ses propres genres de discours, susceptible d’enrichir et de diversifier l’identité même de l’apprenant, le transformant en membre d’une communauté de pratiques.
Elle insiste sur le lien entre les disciplines et le monde réel : « si l’on dit des langues qu’elles sont autant de façon d’interpréter le monde, on peut en dire autant des disciplines. Chacune est une façon de (perce)voir le monde, une vision/perception/conception du monde.
Aspect interculturel

Lors d’une discussion avec le Professeur Luc Collès, de la Cedefles à l’UCL à Louvain-la Neuve, il m’a parlé d’un professeur de mathématique pendant ses études qui lui avait fait découvrir les maths sous un nouvel aspect. Il associait l’origine historique au concept mathématique, ce qui apportait un aspect culturel.

J’ai alors repris les données de mes recherches pour le chapitre « Je me situe dans le temps qui passe » de mon syllabus de Formation scientifique en Classe passerelle. Le jeu en cours de réalisation comprend 10 familles de 6 scientifiques provenant de différentes régions du monde ou d’époques différentes (antiquité, monde médiéval arabo-andalou, contemporains belgo-néerlandais etc …). J’ai commencé à recréer des fiches de concepts mathématiques et scientifiques, en associant l’origine historique et des éléments de FLE.




Ainsi une soixantaine de fiches vont être créées présentant le concept scientifique, l’historique de son auteur et l’aspect français de scolarisation pour aider à la compréhension ou l’utilisation du concept.

Un futur référentiel en Histoire-géographie en DASPA ?

Nous avons repris contact avec l’analyste du SEGEC pour rencontrer un conseiller pédagogique en EDM. En parallèle des référentiels en science et en math en DASPA, nous souhaitons construire un outil similaire en histoire-géographie pour DASPA.  Le travail devrait commencer en mars 2013.

Un cours d’EDM en DASPA a pour objectif de faire acquérir aux élèves le vocabulaire et les connaissances de base d'histoire et de géographie belge et européenne pour une meilleure intégration dans l'enseignement secondaire belge et dans leur future vie de citoyen belge.

Les élèves devront également être capables :

● D’utiliser des référentiels en EDM : l'atlas et la ligne du temps
● De se situer dans l'espace et dans le temps.


Conclusion

Les disciplines non linguistiques sont encore au début de leur histoire au sein de l’Histoire du FLE. Quelques auteurs se sont penchés sur le français de scolarisation ces dernières années, mais peu ont développé le concept avec des pistes qui peuvent aider concrètement l’enseignant dans sa pratique quotidienne, en particulier dans les classes DASPA en Belgique ou CLAPA en France.

Les élèves FLE de DASPA ont besoin des DNL pour s’intégrer au mieux et continuer leur études secondaires, et les DNL ont besoin du français de scolarisation pour aider l’élève à comprendre les concepts et les consignes. Cette interconnexion sera au cœur des outils en math, sciences et EDM  qui seront bientôt prêts à être diffusés avec l’aide du SEGEC pour aider les enseignants titulaires de cours de DNL en DASPA.

Cette formation des enseignants en FLE est d’ailleurs l’un des enjeux cités par Michèle Verdelhan-Bourgade[18] dans son livre. Elle conclue : « Après leur sensibilisation à l’existence et à la nature du Français de scolarisation, cette formation devra porter sur  l’oral en compréhension et production et sa liaison avec l’écrit, les aspects  spécifiques de la scolarisation dans la communication et le discours scolaire, les savoirs sur la langue dans leur relation aux disciplines et à l’usage social ».

Des formations en stage d’été existent en France (CAVILAM de Vichy, CLA de Besançon), mais actuellement rien n’est proposé à ce sujet en Belgique. Une réflexion devra être menée dans le futur sur la formation des enseignants de DNL. Devrons-nous former des régents FLE aux DNL ou des régents de disciplines au FLE. ? Actuellement, aucune des deux possibilités n’existe. Seul le certificat en didactique du FLE à L’UCL à Louvain-la-Neuve permet à des enseignants de disciplines de se former au FLE, son existence devrait donc être pérennisée et ses moyens renforcés pour permettre de répondre à cette demande.

Dans un DASPA, nous ne sommes pas seulement en charge de la formation d’un futur élève qui sera intégré dans l’enseignement secondaire, mais c’est également la formation d’un futur citoyen qui est en jeu. L’apport des DNL lui servira toute sa vie.
Yohann Fleury

BIBLIOGRAPHIE


Monographies :

Capelle Philippe « Cadre de référence 1er degré différencié sciences » Enseignement catholique secondaire, 2008



Cortier Claude, Bouchard Robert, Cultures scolaires et enseignement – apprentissage du FLS – le cas des mathématiques, p113-129 extrait de Lucchini Silvia, Maravelaki Aphrodite (edi), Langue scolaire, diversité linguistique et interculturalité, EMEUed intercommunication sprl, 2007

Courtillon Janine, Élaborer un cours de FLE, 6e éd Espagne, Hachette Français langue étrangère, 2009

Dalcy Anne-Elisabeth, Englebert Annick, Uyttebroeck eric, Van Raemdonck Dan, Wilmet Bernadette, Lire, comprendre, écrire le français scientifique, avec exercices et corrigé, Paris, Bruxelles, DeBoeck Université, 1999

Eurin Balmet Simone, Henao de Legge Martine, Pratiques du Français Scientifique, 2e éd  Vanves (France), Hachette FLE, 1993



Tolas Jacqueline, Le Français pour les sciences, Grenoble, PUG, 2004

Veltcheff Caroline, Hiltion Stanley, L'évaluation en FLE, 3e éd. Evreux, Hachette Français langue étrangère, 2007

Verdelhan-Bourgade Michèle, Le Français de scolarisation pour une didactique réaliste, Vendôme (France), Education et Formation PUF, 2002


Vignier Gérard, La Grammaire en FLE, Tours, Hachette FLE, 2006













[1]Courtillon Janine, Élaborer un cours de FLE, 6e éd., Espagne, Hachette Français langue étrangère, 2009, p.8-9
[2] Mangiante Jean-Marc, Parpette Chantal, Le Français sur Objectif Spécifique : de l'analyse des besoins à l'élaboration d'un cours, 2e éd , Domont, Hachette Français langue étrangère, 2009           
[3]Fleury Yohann, Pour une formation scientifique pour les élèves primo-arrivants en Classe Passerelle - vers un projet F.O.S., TFE Cedefles 2010 
[4]D'après Veltcheff Caroline, Hiltion Stanley, L'évaluation en FLE, 3e éd. Evreux, Hachette Français langue étrangère, 2007, p24
[5]Courtillon Janine, Élaborer un cours de FLE, 6e éd., Espagne, Hachette Français langue étrangère, 2009, p.31
[6]Eurin Balmet Simone, Henao de Legge Martine, Pratiques du Français Scientifique, 2e éd, Vanves (France), Hachette FLE, 1993
[7] Verdelhan-Bourgade Michèle, Le Français de scolarisation pour une didactique réaliste, Vendôme (France), Education et Formation PUF, 2002, p225
[8] Cavalli Marisa, (se) former à l’enseignement des langues et d’autres disciplines, extrait de Formation initiale et profils d’enseignants de langue, sous la direction de Mariella Causa, de boeck,  2012, p127
[10] Dalcy Anne-Elisabeth, Englebert Annick, Uyttebroeck eric, Van Raemdonck Dan, Wilmet Bernadette, Lire, comprendre, écrire le français scientifique, avec exercices et corrigé, Paris, Bruxelles, DeBoeck Université, 1999, p5-6
[11] Tolas Jacqueline, Le Français pour les sciences, Grenoble, PUG, 2004, p219-230
[12] Eurin Balmet Simone, Henao de Legge Martine, Pratiques du Français Scientifique, 2e éd, Vanves (France), ssxHachette FLE, 1993, p109-140
[13] Vignier Gérard, La Grammaire en FLE, Tours, Hachette FLE, 2006, p26
[14] Verdelhan-Bourgade Michèle, Le Français de scolarisation pour une didactique réaliste, Vendôme (France), Education et Formation PUF, 2002, p234-237
[15] Cortier Claude, Bouchard Robert, Cultures scolaires et enseignement – apprentissage du FLS – le cas des mathématiques, p113-129 extrait de Lucchini Silvia, Maravelaki Aphrodite (edi), Langue scolaire, diversité linguistique et interculturalité, EMEU ed. intercommunication sprl, 2007, p119-120
[16] Verdelhan-Bourgade Michèle, Le Français de scolarisation pour une didactique réaliste, Vendôme (France), Education et Formation PUF, 2002, p238
[17] Cavalli Marisa, idem, p139
[18] Verdelhan-Bourgade Michèle, Le Français de scolarisation pour une didactique réaliste, Vendôme (France), Education et Formation PUF, 2002, p245

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