« La formation scientifique en DASPA :
Mariage d’amour ou de raison
entre sciences et français de scolarisation »
par Yohann Fleury –
Institut de la Providence
Coordinateur DASPA
Introduction
Pendant
plusieurs années en classe passerelle, beaucoup d’écoles ont mis l’accent sur
le cours de français, en n’organisant pas toutes les heures de Formation scientifique (seulement les 4
heures de mathématique) et en injectant les heures de sciences dans les cours
de Formation humaine. Ce cours de
math est souvent vu sous l’aspect purement contenu, l’aspect FLE étant occulté,
souvent par manque de formation de l’enseignant à cet aspect.
A
l’Institut de la Providence d’Anderlecht, des cours de F.S. sont donnés depuis le début (2OO1), mais depuis 2009, et
l’arrivée d’une nouvelle équipe de coordination et de direction, une réflexion
a été menée sur ce cours et l’organisation pédagogique a été revue pour
répondre au mieux aux missions.
Contexte légal et
pédagogique
Selon les décrets du
14/06/2001 organisant la Classe passerelle et du 18/05/12 organisant le DASPA,
nos missions sont :
1 – assurer
l'accueil, l'orientation et l'insertion optimale des élèves primo-arrivants
dans le système éducatif de la Communauté française;
2 – proposer un accompagnement scolaire
et pédagogique adapté aux profils d'apprentissage des élèves primo-arrivants,
notamment les difficultés liées à la langue de scolarisation et à la culture
scolaire;
3 – proposer une étape de scolarisation intermédiaire et d'une durée limitée, conformément à l'article 9 du présent décret, avant la scolarisation dans une classe de niveau ;
3 – proposer une étape de scolarisation intermédiaire et d'une durée limitée, conformément à l'article 9 du présent décret, avant la scolarisation dans une classe de niveau ;
par l’apprentissage
ou le renforcement du français, mais aussi par les DNL (disciplines non
linguistiques : math, sciences, histoire-géographie).
La semaine de 28h de cours se répartit donc ainsi
:
|
|
15
de
Formation humaine :
►3 h : histoire géographie
►2 h : atelier artistique
|
8
h de Formation scientifique :
►4 h : math
►2 h : sciences
►2 h : travaux sur ordinateur
|
+ 3h
d’éducation physique et 2h de religion
|
Actuellement,
il existe beaucoup de méthodes de français sur le marché pour donner le cours
de Formation humaine (français) aux primo-arrivants en DASPA (Dispositif
d’accueil et de scolarisation pour élèves primo-arrivants - ex-classe
passerelle) en Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique. Certaines, comme
« Entrée en matière » intègrent quelques éléments de sciences, de
mathématiques voire de culture générale, mais le contexte reste très
franco-français.
Cependant, le cours de Formation
scientifique, avec ses huit heures par semaine, ne fait pas l'objet d'un
programme ou d'une méthode pour les professeurs qui l'enseignent.
Vers un programme et un syllabus de
Formation scientifique en Classe passerelle
Lorsque en 2009, je suis devenu
coordinateur de la section classe passerelle à l’Institut de la Providence,
j’ai décidé de suivre le Certificat en didactique du FLE à la Cedefles à l’UCL
de Louvain-la Neuve. En 2010, dans le cadre de mon TFE « Pour une
formation scientifique pour les élèves primo-arrivants en Classe Passerelle -
vers un projet F.O.S. »,
je me suis fixé comme objectifs de :
- réaliser une enquête auprès des
pouvoirs organisateurs (PO) en Communauté française et des enseignants
titulaires de ce cours pour avoir une meilleure idée de leurs besoins,
- déterminer si
ce projet est un projet de Français sur objectifs spécifiques ou du français de
spécialité,
- réfléchir aux objectifs d'un
cours de Formation scientifique pour les primo-arrivants,
- proposer un programme de cours
en vue d'un syllabus de Formation scientifique pour élèves primo-arrivants
de classe passerelle.
Elaboration didactique du projet de syllabus de FS en classe passerelle
Dans son livre
« Élaborer un cours de FLE », Janine Courtillon[1],
de l'École normale supérieure de Saint-Cloud en France, nous parle de « se
constituer une méthode ». « Lorsqu'on parle d'enseignement
des langues, on évoque souvent le problème de formation, en distinguant les
enseignants qui ont reçu une bonne formation et ceux qui ont une formation
insuffisante. Il faudrait aller plus loin et admettre que les enseignants
peuvent se former continuellement en opérant des choix raisonnés parmi les
activités pédagogiques proposées dans les méthodes initiées par eux-mêmes, en
observant les résultats, en élaborant en quelque sorte leur propre
« recherche-action ».
Dans « Le français sur Objectif Spécifique »
[2],
Jean-Marc Mangiante et Chantal Parpette propose une démarche de travail
pour élaborer un cours de FOS que j’ai suivi. Les étapes de cette démarche sont
l'analyse des besoins, la collecte des données et l'élaboration didactique.
Cette démarche de « recherche-action » est décrite dans mon travail[3].
Analyse des besoins
Avant d'élaborer une proposition, il m’a semblé nécessaire
d'interroger des experts, des spécialistes de terrain. J'ai donc pris contact avec
les responsables de pouvoirs organisateurs (PO), des chercheurs universitaires
et les enseignants titulaires de ce type de cours.
Aux PO de la Communauté française et de la SEGEC, après
avoir exposé mon projet, j'ai posé la question « Quels sont pour vous les
objectifs du cours de Formation Scientifique pour
primo-arrivants? »
À différents chercheurs de l’UCL, de la KUL et de l’ULg,
j'ai demandé si je me situais dans un projet de français de spécialité ou de
français sur objectifs spécifiques.
Puis aux enseignants de différents classes passerelles à
Bruxelles, j'ai soumis un questionnaire que j'ai élaboré avec ces 4 questions :
1. Avez-vous éprouvé des difficultés à construire votre
cours lorsque vous avez commencé à le donner ? Si oui, lesquelles ?
2. Comment avez-vous construit votre cours ?
3. Quels sont vos besoins pédagogiques pour
construire votre cours ?
4. Quels sont pour vous les objectifs du
cours de Formation scientifique pour primo-arrivants ?
Ces différentes enquêtes ont permis de rapprocher le point
de vue des enseignants, des chercheurs et des PO avec comme base de travail le
programme du 1er degré différencié (certains élèves devront passer
l'examen du CEB l’année suivante), avec
comme objectif l’acquisition du vocabulaire et des connaissances
de base de math et de sciences pour une meilleure intégration dans
l'enseignement secondaire belge
Collecte des données
Pour atteindre cet objectif, il faut donc partir du cadre de
référence du 1er degré différencié et de son programme de sciences.
Cependant, le public classe-passerelle étant composé d'élèves primo-arrivants,
contrairement aux élèves de 1D/2D, qui ont pour la plupart effectué leur
scolarité primaire en Belgique, maîtrise peu, voire pas du tout la plupart du
temps la langue française.
C'est pourquoi un outil spécifique aux élèves
primo-arrivants est absolument nécessaire, tout comme pour l'apprentissage du
français, des méthodes FLE sont nécessaires. Mettre au point une méthode
communicative pour leur faire faire acquérir le « français
scientifique » me semble donc une nécessité. Jean-Marc Mangiante dit « Le meilleur moyen de comprendre ce
qu’est la méthodologie communicative consiste sans doute à se pencher sur la
mise en place d’un programme de F.O.S. »
J’ai proposé de constituer un programme de français sur
objectif spécifique, avec un syllabus qui pourrait aider bon nombres de mes
collègues en attente d'un outil spécifique pour le public d'élèves
primo-arrivants.
Quelles compétences scientifiques
et langagières mettre en avant ?
Les savoirs scientifiques proposés par le cadre de
référence sont pertinents à garder pour donner un socle de base de connaissance
aux élèves avant d'être intégrés dans le secondaire. Ils ont besoin d'un
transfert des connaissances acquises dans leur pays vers la langue française,
d'autres non scolarisés doivent acquérir ces compétences de base.
En ce qui concerne les savoir-faire scientifiques,
l'esprit de la démarche scientifique est particulièrement nécessaire à acquérir
pour amener les élèves à une certaine autonomie lorsqu'ils seront intégrés dans
une classe secondaire. De plus certains sont orientés en 1D (moins de seize
ans, pas d'équivalence possible), ils devront passer le CEB l'année suivante,
autant commencer à les préparer.
Comment ne pas parler de compétences langagières pour des
élèves en classe de FLE ?
Selon Caroline Veltcheff et Stanley Hilton dans « l'évaluation
en FLE », le Cadre européen commun de référence définit la compétence
à communiquer langagièrement.[4]
Cette compétence présente plusieurs composantes :
-
une composante linguistique, qui comprend les
savoirs et savoir-faire relatifs au lexique, à la phonétique, à la syntaxe ;
-
une composante sociologique, qui comprend les
paramètres socio-culturels, en relation avec les normes sociales ;
-
une composante pragmatique, qui renvoie à
l'utilisation fonctionnelle des ressources de la langue, à la réalisation de
fonctions langagières et d'actes de paroles, à la maitrise du discours.
Communiquer langagièrement, c'est
mettre en œuvre ces composantes.
Janine
Courtillon, dans « Élaborer un cours de FLE »[5],
rappelle l'importance de garder à l'esprit la notion d'unité d'enseignement, ou
d'unité didactique. Elle souligne le risque de choisir dans la gamme des
activités et exercices existant ceux qui paraîtront les plus intéressants,
agréables et parfois de « varier pour varier ». L'école
doit apporter les moyens de contrôler l'apprentissage et de le faciliter. Il
faut donc une méthode.
Elle ajoute que la « meilleure méthode »
n'existera jamais, nous ne pouvons pas en juger. Cependant, on ne peut
enseigner sans méthode. Il faut avoir une vue d'ensemble du parcours que doit
accomplir l'apprenant pour s'approprier l'usage d'une nouvelle langue, et ici
plus particulièrement la français des sciences.
Elle propose de diviser ce
parcours en étapes, qu'on pourra appeler unités d'enseignement. Pour établir un
parcours et en contrôler les acquis, il faut organiser les données de départ,
les moyens de faire acquérir les savoir-faire escomptés et d'évaluer les
acquis. Un cours doit être pensé en termes d'unités d'enseignement, ayant
chacune des objectifs d'apprentissage (définis en tant que savoir-faire
impliquant des connaissances linguistiques), des données
sélectionnées en fonction de l'objectif, et selon une certaine progression, une
méthodologie proprement dite.
Dans «Pratiques du Français scientifique»[6],
les deux auteures rappellent qu'un « découpage par discipline est remis en cause par les
scientifiques eux-mêmes. L'enseignant est contraint de minorer l'entrée par
disciplines au profit d'une réflexion interdisciplinaire qui lui permet de
dégager les opérations cognitives communes des ensembles, des catégories de
disciplines, afin de pouvoir enseigner le matériel linguistique nécessaire à
leur traduction langagière ».
C'est ce que j'ai choisis de faire dans les 6 unités
didactiques présentées ci-dessous, où les matières scientifiques illustrent une
grande thématique dans chaque unité. Le syllabus que je propose comporte six
unités didactiques, avec comme fil rouge le titre « je me situe » :
1) Je me situe dans l'espace
En partant de son pays d'origine, l'élève suit un parcours
qui l'amène en Belgique, à Bruxelles et dans sa nouvelle école : un parcours
lui permettant d'acquérir des notions de géographie et de géométrie.
2) Je me situe dans mon environnement
Des planètes de notre système solaire aux animaux et aux
plantes qui l'entourent, l'élève découvre le monde dans lequel il vit : un
parcours empreint de biologie animale et végétale, mais aussi d'écologie.
3) Je me situe dans mon corps
À la découverte de son corps, l'élève teste ses sens et
appréhende le monde médical : un parcours dans l'anatomie humaine et à la
découverte des professions médicales et de l'hôpital.
4) Je me situe dans le temps qui passe /
qu'il fait
Un double parcours dans le temps : tout d'abord, le temps
qui passe, à la découverte de l'histoire des sciences dans le monde. Ensuite,
le temps qu'il fait, c'est à dire le concept de la météorologie.
5) Je me situe dans les quantités
Une approche des mathématiques, en passant par la cuisine.
6) Je me situe dans le futur
Des nouvelles technologies, au monde des transports, à
l'énergie et au développement durable : un parcours découverte de la chimie, la
physique et l'électronique.
Les 4 premiers chapitres du syllabus sont déjà en partie réalisés
et ont été testés en classe. Les deux derniers sont encore en cours de
création.
Naissance de groupes à tâche pour la création de
référentiel Sciences et Math en DASPA avec le SEGEC
Début 2012, nous avons pris contact avec une analyste de la
SEGEC pour mettre en place un groupe à taches sur le cours de Formation scientifique. Un groupe de
travail s’est constitué avec l’aide d’une conseillère pédagogique en sciences.
Dans un premier temps, une analyse des compétences du socle
des compétences a été effectuée.
A l’aide du document « Socles de
compétences », nous avons sélectionné parmi les 17 savoir-faire en Eveil-initiation
scientifique, ceux qui semblent incontournables en DASPA selon les 3 niveaux
sélectionnés pour les groupes d’élèves.
Puis nous avons sélectionné le savoir-faire
correspondant au niveau :
I : fin
de la 2ème année primaire → groupe
alpha
II : fin
de la 6ème primaire → groupe futur 1D-3P
III :
fin du 1er degré secondaire → groupe 2ème degré.
Lors
de la prochaine étape, une réflexion sur le contenu matière et l’évaluation
sera effectué.
En janvier 2013, un nouveau groupe à tache va démarrer le
même travail sur les mathématiques en DASPA suite à la rencontre en octobre
2012 avec une conseillère pédagogique math du SEGEC. L’accent sera donné sur
l’apprentissage et la compréhension des consignes, souvent la cause des échecs
au CEB des élèves ex-classe passerelle. Notre objectif est d’arriver fin 2013
avec 2 référentiels FLE pour les sciences et les mathématiques, avec les
compétences à travailler et à évaluer, un contenu matière et des outils de
français de scolarisation pour les enseignants.
De l’importance du Français de scolarisation dans
l’apprentissage des DNL
Lors d’une conférence sur le DASPA et la Formation scientifique devant des élèves de Master FLE en novembre
2012, un étudiant m’a demandé si c’était un cours de science ou de français. Ce
n’est ni totalement un cours de sciences (avec des élèves francophones), ni
totalement un cours de FLE.
Michèle Verdelhan-Bourgade, dans son
ouvrage « Le Français de scolarisation »[7], écrit qu’à la différence du FLE, (un
enseignement scolaire comme une discipline parmi d’autres, sans répercussions
sur les autres matières), le « français de scolarisation sert à la mise en
place des savoirs dans les autres disciplines ».
D’après Marisa Cavalli, dans « Formation initiale et profils d’enseignants de langues »[8], la
langue de scolarisation est une « langue officielle (une seule, voire
plusieurs langues dans certains états) ou variété étrangère dans laquelle sont
effectués les/des enseignements de disciplines dans le système scolaire. Cette
langue n’est pas toujours la langue « maternelle » des élèves ;
en tout état de cause, cette langue de l’école inclut des formes discursives
(écrites, en particulier) qui ne sont pas connues des jeunes apprenants ».
Elle précise que l’enseignement des langues de scolarisation se caractérise par
deux dimensions :
-
« langue comme matière » avec ses composantes
et ses objets propres d’apprentissage
-
« langue des autres matières », quand elle
est utilisée comme moyen pour l’enseignement et l’apprentissage des autres
matières à l’école (les DNL).
D’ailleurs, Philippe
Capelle, du Segec, a élaboré en janvier 2012, un document appelé « Langue
« pour » en sciences ». Il reprend un certain nombre
de compétences de français liées aux apprentissages du cours de science.
Celles-ci seront présentées plus loin dans le chapitre « Grammaire et
sciences ».
Les cours de DNL doivent trouver un juste milieu, un point
de rencontre, car notre objectif premier est d’aider l’élève à acquérir le vocabulaire et les connaissances
de base de math et de sciences pour une meilleure intégration dans
l'enseignement secondaire belge.
Marisa Cavalli[9], explique qu’il y a une langue appropriée aux objets
disciplinaires et chaque discipline a ses propres objets, phénomènes,
évènements et processus à décrire, à analyser dans leur composantes, à
recomposer dans leur unité. Il ne s’agit pas seulement de lexique, comme
souvent même les enseignants expérimentés l’imaginent, bien que le lexique joue
un rôle de premier plan dans la construction conceptuelle et qu’il faille y
travailler. Ce sont, en effet, plutôt des genres discursifs spécifiques à
chaque discipline. On ne parle pas de la même façon d’un processus historique
ou d’un théorème de mathématique. Par contre, certains moyens sémiotiques ou représentations
conceptuelles peuvent être communes à plusieurs disciplines : par exemple,
les diagrammes utilisés en mathématiques, géographie, histoires, sciences
… ; les cartes employés en histoire, géographie, sciences, etc ; la
frise chronologique en histoire, en sciences… ; les symboles mathématiques
et en physique, etc ; d’autres peuvent être spécifiques à certaines
disciplines (les formules en chimie ou en mathématiques).
Sans la connaissance d’un vocabulaire spécifique, la
compréhension des consignes, mais également la maitrise du discours
scientifique, l’élève risque d’être perdu après son intégration dans
l’enseignement secondaire.
Lexique, mots-outils
et sciences
Pour les auteurs de « Lire, comprendre,
écrire le français scientifique »[10], les difficultés de langue que
rencontrent les étudiants confrontés à un texte scientifique sont de deux types
:
-
les problèmes de lexique : de nombreux mots,
même (surtout) courants sont mal ou très vaguement compris, ce qui provoque
confusion et erreurs.
-
les problèmes de compréhension des articulations
logiques des textes, c'est-à-dire les mots-outils comme les adverbes,
conjonction ou prépositions qui servent à lier les idées, à structurer un
texte, à marquer les transitions logiques.
Dans « Le Français pour les sciences »[11],
Jacqueline Tolas insiste sur la connaissance de ces connecteurs logiques, de
manière à énumérer des éléments, émettre des hypothèses, faire des oppositions
ou des restrictions, parler de la cause et des conséquences et se fixer un but.
L'apprentissage des préfixes quantitatifs (bi, tri, quadri/tétra etc..) est
aussi mis en évidence. De même, l'utilisation d'un certain nombre de verbes est
précisé (on compte, on estime à, on enregistre, on dénombre etc..).
Dans « Pratique du Français scientifique »[12],
les deux auteures insistent sur la connaissance des marqueurs spécifiques
(modélisation, transformation, spatiaux et temporels, quantificateurs, de
comparaison, de corrélation etc...). Les connaître permet de comprendre le
discours scientifique et les utiliser permet de mieux articuler sa
communication.
Michelle Verdelhan-Bourgade précise que les discours
caractéristiques des manuels se disent dans une langue dont l’appropriation par
des élèves peut être considérée comme un facteur capital de l’intégration
scolaire. Pourtant la conception de la norme en Français de scolarisation
semble hésiter entre celle d’un français langue internationale de prestige et
celle d’une français proche des réalités du pays, avec un net avantage à la
première. Pourtant, si l’on veut intégrer au mieux un élève de DASPA dans
l’enseignement secondaire belge, le lexique scolaire belge sera plus utile
qu’un lexique de collège en France.
Grammaire et sciences
D'après Gérard Vignier, dans « la Grammaire en
FLE »[13],
une enquête auprès de 30 professeurs exerçant dans des instituts de langues en
français montre l'importance de la composante grammaticale dans l'enseignement
du FLE, il s'agit souvent d'une demande des élèves qui la perçoivent comme un
élément de stabilité dans leur apprentissage.
Cependant il faut garder le souci d'articuler compétences de
communication et compétences linguistiques, la grammaire doit être en
situation, elle est au service de la communication. Comme le dit Laure
Destercke, dans son séminaire du 14 novembre 2009 à la Cedefles, « la
grammaire, c'est comme la cuisine, tout est question de dosage, de quantité :
quand, comment, que voir? ».
Mais quels éléments de grammaire ? Les ouvrages traitant du
français scientifique insistent sur l'apprentissage d’éléments syntaxiques
nécessaires à la communication scientifique.
Dans « Langue
« pour » en sciences », Philippe Capelle du Segec propose comme exemple,
en « Réception », dans la compétence « Comprendre un mode
opératoire », de travailler avec les élèves sur :
-
Comprendre les verbes – identifier les temps
(infinitif, gérondif),
-
Préposition de lieu : à la surface de, dans le
fond de,
-
Préposition de mouvement : vers, de, à partir de,
jusqu’à …
-
Préposition de situation : souvent avec des
nombres : au-dessus de, en dessous de entre …et…,
De même, en « Production,
dans la compétence « comparer », il propose :
Si « verbe + plus/moins
« , pas de difficulté : « l’eau contient plus d’oxygène »,
« le matériau x gonfle plus le matériau y ».
Si « plus + adjectif »,
nécessité de voir le comparatif.
On le voit, les différents auteurs s'accordent pour donner
une importance à la grammaire dans un cours de français scientifique, mais une
grammaire au service de la communication scientifique. C'est donc ainsi que
j’ai intégré la grammaire dans le syllabus de Formation scientifique.
Importance des
énoncés et des consignes
Nombres d’échecs dans la résolution des tâches scolaires
proviennent d’une mauvaise compréhension des consignes. On le voit chaque année
lors du CEB avec les élèves ex-classe passerelle.
Pour n'importe quel élève, mais encore plus peut-être pour
des primo-arrivants, les énoncés et les consignes doivent être clairs et
compréhensibles pour leur permettre de résoudre la tache ou l'exercice qui leur
est demandé.
Michèle Verdelhan-Bourgade[14] voit
deux raisons majeures à l’incompréhension des consignes : les obstacles
linguistiques et les consignes nécessitant des opérations mentales.
Le vocabulaire des consignes mérite d’être travaillé avec
les élèves pour les aider à progresser. Certains mots tout à fait courant dans
le langage social changent de sens dans
la jargon scolaire :
Mots
|
Sens social
|
Sens scolaire
|
Ranger
|
Mettre de l’ordre
|
Classer
|
Légende
|
Conte
|
Énoncé sous un dessin
|
Relever
|
Mettre debout
|
Repérer, noter
|
L’exécution de la consigne suppose d’abord des connaissances
pragmatiques en matière de :
-
Situation de classe, pour comprendre de quel domaine de connaissances il
s’agit ;
-
Références extérieures, les énoncés des problèmes
faisant souvent appel à des faits de société ou des éléments d’actualité.
Michèle Verdelhan-Bourgade reprend l’exemple donné dans un
livre de problèmes français de niveau CM1 (4ème primaire en Belgique) de
1994 : « 254 personnes sont invitées pour fêter les 100 ans d’Amélie
Bellugue. Le Traiteur demande 75 F par personne pour le repas. Combien
couteront les 254 repas ». La compréhension de l’énoncé suppose celle du
rôle social du traiteur, et ce n’est pas un simple problème de vocabulaire.
L’élève doit identifier la question, où est indiqué ce qu’on
lui demande. Il va repérer les mots supports, les informations principales,
secondaires, voire inutiles (les 100 ans de la dame).
A partir de là, s’opère une modélisation de la tâche à
accomplir.
De la même manière, Claude Cortier et Robert Bouchard ont
mis en évidence dans « Cultures scolaires et enseignement – apprentissage
du FLE »[15] que la résolution d'énoncé-problèmes
amène à introduire en mathématique des phénomènes pratiques, ethnographiques
liés en particulier à l'habillage « quotidien» des dits énoncés. Le
problème s'enracine dans une situation de la vie quotidienne censée être
connues par les élèves. Elle fait bien-sûr plus référence à l'expérience
culturelle moyenne d'enfants ou d'écoliers français.
La compréhension d'un énoncé comporte selon les auteurs au
moins 3 aspects :
-
un aspect proprement linguistique
-
un aspect cognitif lié à des connaissances
proprement mathématiques
-
une composante liée au contrat didactique :
connaissance des règles de l'enseignement, de la discipline et des règles de
résolutions de problèmes, des connaissances implicites supposées par un
apprentissage, connaissance de l'enseignant en particulier, de ses exigences.
L'habillage de l'énoncé est très important, il doit aider
l'apprenant sans le bloquer.
Michèle Verdelhan-Bourgade[16] indique que pour construire un
programme pour un cours de DNL, on peut au préalable essayer de classer les
consignes en catégories :
-
Les consignes comportant un geste graphique (souligner,
encadrer, rayer, dessiner …) ;
-
Les consignes relevant de catégories mentales générales
(analyse, synthèse, classement…) ;
-
Les consignes spécifiques d’une discipline (calculer,
soustraire, dater …) ;
-
Les consignes concernant des opérations discursives
(nommer, décrire, raconter, expliquer…).
Elle ajoute que beaucoup de consignes basiques concerne
souvent deux ou davantage de disciplines, ce qui constitue un argument
supplémentaire à un travail langagier sur les DNL.
Consignes
|
Disciplines
|
Épeler, nommer
|
Français, sciences, histoire-géo
|
Classer
|
|
Faire correspondre
|
Français, sciences, math
|
Les différents auteurs montrent bien qu’il est nécessaire de
travailler ce type de discours, dont la compréhension et l’exécution vont
conditionner une grande partie de la réussite de l’élève primo-arrivant après
son intégration dans une classe de l’enseignement secondaire.
Comme le dit Marisa Causa[17],
l’enseignement/apprentissage d’une discipline aboutit à l’acquisition, au moins
partielle, d’une langue et d’une culture caractérisée par ses propres genres de
discours, susceptible d’enrichir et de diversifier l’identité même de
l’apprenant, le transformant en membre d’une communauté de pratiques.
Elle insiste sur le lien entre
les disciplines et le monde réel : « si l’on dit des langues qu’elles
sont autant de façon d’interpréter le monde, on peut en dire autant des
disciplines. Chacune est une façon de (perce)voir le monde, une
vision/perception/conception du monde.
Aspect interculturel
Lors d’une discussion avec le
Professeur Luc Collès, de la Cedefles à l’UCL à Louvain-la Neuve, il m’a parlé
d’un professeur de mathématique pendant ses études qui lui avait fait découvrir
les maths sous un nouvel aspect. Il associait l’origine historique au concept
mathématique, ce qui apportait un aspect culturel.
J’ai alors repris les données de
mes recherches pour le chapitre « Je me situe dans le temps qui passe »
de mon syllabus de Formation scientifique en Classe
passerelle. Le jeu en cours de réalisation comprend 10 familles de 6 scientifiques
provenant de différentes régions du monde ou d’époques différentes (antiquité,
monde médiéval arabo-andalou, contemporains belgo-néerlandais etc …). J’ai
commencé à recréer des fiches de concepts mathématiques et scientifiques, en
associant l’origine historique et des éléments de FLE.
Ainsi une soixantaine de fiches
vont être créées présentant le concept scientifique, l’historique de son auteur
et l’aspect français de scolarisation pour aider à la compréhension ou
l’utilisation du concept.
Un futur référentiel en
Histoire-géographie en DASPA ?
Nous avons repris contact avec l’analyste du SEGEC pour rencontrer un
conseiller pédagogique en EDM. En parallèle des référentiels en science et en
math en DASPA, nous souhaitons construire un outil similaire en
histoire-géographie pour DASPA. Le
travail devrait commencer en mars 2013.
Un cours d’EDM en DASPA a pour objectif de faire acquérir aux élèves le
vocabulaire et les connaissances de base
d'histoire et de géographie belge et européenne pour une meilleure intégration dans l'enseignement
secondaire belge et dans leur future vie de citoyen belge.
Les élèves devront également être
capables :
● D’utiliser des référentiels en EDM : l'atlas et la ligne du temps
● De se situer dans l'espace et dans le temps.
Conclusion
Les disciplines non linguistiques
sont encore au début de leur histoire au sein de l’Histoire du FLE. Quelques
auteurs se sont penchés sur le français de scolarisation ces dernières années,
mais peu ont développé le concept avec des pistes qui peuvent aider
concrètement l’enseignant dans sa pratique quotidienne, en particulier dans les
classes DASPA en Belgique ou CLAPA en France.
Les élèves FLE de DASPA ont
besoin des DNL pour s’intégrer au mieux et continuer leur études secondaires,
et les DNL ont besoin du français de scolarisation pour aider l’élève à
comprendre les concepts et les consignes. Cette interconnexion sera au cœur des
outils en math, sciences et EDM qui seront
bientôt prêts à être diffusés avec l’aide du SEGEC pour aider les enseignants
titulaires de cours de DNL en DASPA.
Cette formation des enseignants
en FLE est d’ailleurs l’un des enjeux cités par Michèle Verdelhan-Bourgade[18]
dans son livre. Elle conclue : « Après leur sensibilisation à
l’existence et à la nature du Français de scolarisation, cette formation devra
porter sur l’oral en compréhension et production et sa liaison avec
l’écrit, les aspects spécifiques de la
scolarisation dans la communication et le discours scolaire, les savoirs sur la
langue dans leur relation aux disciplines et à l’usage social ».
Des formations en stage d’été
existent en France (CAVILAM de Vichy, CLA de Besançon), mais actuellement rien
n’est proposé à ce sujet en Belgique. Une réflexion devra être menée dans le
futur sur la formation des enseignants de DNL. Devrons-nous former des régents
FLE aux DNL ou des régents de disciplines au FLE. ? Actuellement, aucune
des deux possibilités n’existe. Seul le certificat en didactique du FLE à L’UCL
à Louvain-la-Neuve permet à des enseignants de disciplines de se former au FLE,
son existence devrait donc être pérennisée et ses moyens renforcés pour
permettre de répondre à cette demande.
Dans un DASPA, nous ne sommes pas
seulement en charge de la formation d’un futur élève qui sera intégré dans
l’enseignement secondaire, mais c’est également la formation d’un futur citoyen
qui est en jeu. L’apport des DNL lui servira toute sa vie.
Yohann Fleury
BIBLIOGRAPHIE
Monographies :
Capelle Philippe « Cadre de référence 1er degré
différencié sciences » Enseignement catholique secondaire, 2008
Cavalli Marisa, (se) former à l’enseignement des langues et d’autres disciplines,
extrait de Formation initiale et profils
d’enseignants de langue, sous la direction de Mariella Causa, de
boeck, 2012
Cortier Claude, Bouchard Robert, Cultures scolaires et
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extrait de Lucchini Silvia, Maravelaki Aphrodite (edi), Langue scolaire,
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[1]Courtillon Janine, Élaborer un cours de FLE, 6e
éd., Espagne, Hachette Français langue étrangère, 2009, p.8-9
[2] Mangiante Jean-Marc, Parpette Chantal, Le Français
sur Objectif Spécifique : de l'analyse des besoins à l'élaboration d'un cours,
2e éd , Domont, Hachette Français langue étrangère, 2009
[3]Fleury Yohann, Pour une formation scientifique pour les
élèves primo-arrivants en Classe Passerelle - vers un projet F.O.S., TFE Cedefles 2010
[4]D'après Veltcheff Caroline, Hiltion Stanley, L'évaluation
en FLE, 3e éd. Evreux, Hachette Français langue étrangère, 2007,
p24
[5]Courtillon
Janine, Élaborer un cours de FLE, 6e éd., Espagne, Hachette
Français langue étrangère, 2009, p.31
[6]Eurin Balmet Simone,
Henao de Legge Martine, Pratiques du Français Scientifique, 2e éd, Vanves (France), Hachette FLE,
1993
[7] Verdelhan-Bourgade Michèle, Le Français de
scolarisation pour une didactique réaliste, Vendôme (France), Education et
Formation PUF, 2002, p225
[8] Cavalli Marisa, (se)
former à l’enseignement des langues et d’autres disciplines, extrait de Formation initiale et profils d’enseignants
de langue, sous la direction de Mariella Causa, de boeck, 2012, p127
[10] Dalcy Anne-Elisabeth, Englebert Annick, Uyttebroeck eric,
Van Raemdonck Dan, Wilmet Bernadette, Lire, comprendre, écrire le français
scientifique, avec exercices et corrigé, Paris, Bruxelles, DeBoeck
Université, 1999, p5-6
[11]
Tolas Jacqueline, Le Français
pour les sciences, Grenoble, PUG, 2004, p219-230
[12] Eurin Balmet Simone, Henao de Legge Martine, Pratiques
du Français Scientifique, 2e éd, Vanves (France), ssxHachette
FLE, 1993, p109-140
[14] Verdelhan-Bourgade Michèle, Le Français de
scolarisation pour une didactique réaliste, Vendôme (France), Education et
Formation PUF, 2002, p234-237
[15] Cortier Claude, Bouchard Robert, Cultures scolaires et
enseignement – apprentissage du FLS – le cas des mathématiques, p113-129
extrait de Lucchini Silvia, Maravelaki Aphrodite (edi), Langue scolaire,
diversité linguistique et interculturalité, EMEU ed. intercommunication
sprl, 2007, p119-120
[16] Verdelhan-Bourgade Michèle, Le Français de
scolarisation pour une didactique réaliste, Vendôme (France), Education et
Formation PUF, 2002, p238
[17] Cavalli Marisa, idem, p139
[18] Verdelhan-Bourgade Michèle, Le Français de
scolarisation pour une didactique réaliste, Vendôme (France), Education et
Formation PUF, 2002, p245
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